Témoignage de sempaï : Claude Pellerin

Sur les pas de Tamura Shihan : l'Aïkido est un Budo. Quel sens donner à notre pratique ?

seiza

Introduction


A l’occasion du stage national enseignant à Auxerre en septembre 2011, Claude Pellerin, actuellement en charge de la commission technique de la FFAB, a cherché à transmettre la richesse qu’il a perçue de l’enseignement de Maître Tamura. Nous avons profité de ce moment privilégié, pour échanger avec lui sur le cœur de sa recherche personnelle. Claude Pellerin a débuté la pratique en 1969, pour devenir rapidement un proche et fidèle élève de Maître Tamura. Il a été président du département technique de la FFAB jusqu’en 1992, et est actuellement responsable de la commission Haut Niveau ,Chargé d’Enseignement National, il enseigne dans ses Dojo à Marseille et aux Pennes Mirabeaux, ainsi qu’au Shumeïkan Dojo de Bras. Il contribue aussi au développement de l’Aïkido en Europe en intervenant régulièrement , depuis de nombreuses années , pour les différentes Fédérations( AKP , AETAIKI , VAV , JBN-NCA , FSA ,OAV )et les Dojos Ken shin Kai (Munich) et Shumeikan de Vienne.

Cette première partie d’interview donnera lieu à une suite dans les prochains numéros de Shumeïkan

Durant le stage tu as essayé de faire passer un message important pour les enseignants avec ce que Maître Tamura a apporté par la place qu'il a donnée au travail des préparations en Aïkido.

Oui, je crois que ce type de travail représente le cœur de l’enseignement de Senseï. Il a mis tout cela sur la table pour nous aider, c’était également pour lui, c'est-à-dire pour sa propre pratique et sa propre recherche. C'était un partage, pour nous faire avancer humainement en Aïkido, dans son idée de Budo.

Parfois les pratiquants ont du mal à trouver le sens de ces préparations. Certains, même chez les anciens, s’ennuient sur ce travail, c'est-à-dire ne trouvent pas ce que l’on construit avec ce travail. Tu soulignais durant le cours qu’à travers le relâchement, tu cherches toi-même à développer un travail sur le ki ?


Oui, pour ma part je pense que l'on peut découvrir cette dimension dans ces préparations. C’est essentiel, et sans doute encore plus pour nous européens, car ces notions sont extérieures à notre culture et donc très éloignées de notre compréhension. Pour un japonais qui pratique l’Aïkido, de par sa culture orientale, les notions portées par l’expression AI-Ki-Do en elle-même, s’inscrivent spontanément dans son vocabulaire, dans sa perception et sa compréhension. Ainsi, les japonais peuvent cheminer différemment dans ces notions et dans la pratique. Mais pour les européens, c’est plus délicat, cela reste un peu ténébreux.

Alors, tout comme cet après-midi durant la pratique, on peut essayer de mettre quelques mots sur ces notions. Senseï s’exprimait très peu sur ces questions. Simplement, par exemple, il disait que ce qui est vivant est traversé par le ki et ce qui est mort n’est plus traversé par le ki.

Mais après cela ? Nous restions nous-mêmes pleins d’interrogations… Nous pratiquons l’Aï-Ki-Do, le Do de Aïki…

Il existe bien d’autres arts japonais notamment dans les Arts Martiaux, le Ju-Do, le Kyu –Do, le Iaï-Do, et bien sûr plus globalement le Bu-Do. Est-ce que ces notions portent un sens ou non ? Qu’est ce qui serait spécifique dans notre art, qu’est ce qui lui donne le sens, qu’est ce que cette notion d’Aïki ?

Tout le monde pratique. Mais, est-ce que les pratiquants ne sont pas entrain de pratiquer ikkyo-Do ou nykkyo-Do, c'est-à-dire de se focaliser sur la technique mais en oubliant Aï-Ki ?


Ce que j’ai perçu, dans ce travail des préparations que tu évoques en début de cours, c’est que non seulement la préparation fait partie intégrante de la pratique, mais elle est plus : elle donne le sens. Et ensuite, quand on commence la pratique technique en tant que telle, on va chercher à conserver ce même sens dans chaque geste technique.


Si on abandonne ce sens, l’Aïkido reste uniquement une sorte de Jujutsu. Chacun cherche sa technique, avec plus ou moins de réussite, plus ou moins d’efficacité, selon que uke bloque plus ou moins cela fonctionnera plus ou moins bien. Mais où se trouve encore l’Aïkido dans ce type de pratique. Est-ce encore de l’Aïkido ?

Par contre si on conserve le travail de fond mis en place durant les préparations, avec présence et conscience dans l'exécution des exercices, on pourra s'appuyer sur ces acquis pour les réalisations techniques, dans ce cas on a préparé complètement le mental et le physique. Dans la suite du cours, on cherchera à appliquer cela dans l’exécution des techniques. Celles-ci ne sont en fait que les gestes et les situations auxquelles on se confronte pour apprendre l’Aïkido et le développer en soi. Plus tard, il faudra oublier ces techniques, en garder les gestes que l'on continue à épurer comme la technique, jusqu'à n'arriver plus qu'à un seul et même mouvement !!! le Mouvement d'Aïkido ???…. C’est seulement à ce moment, peut-être, après avoir travaillé sur les préparations entre autres, puis les techniques, puis après avoir oublié les techniques…que l’Aïki pourra éventuellement se manifester, que l’on commencera peut-être l’Aïkido...

Ainsi , plus simplement : trouver à travers sa pratique le lien entre tous les exercices, établir le lien avec les techniques et entre les techniques, les unes enrichissant les autres et inversement.


Nous avons abordé les préparations, mais ce dont tu parles ne débouche-t-il pas plus largement sur la manière de construire l’étude de l’Aïkido, de construire notre propre cheminement ?


Ces préparations sont un moyen de construire ce chemin, sinon, peut-être même ne commencera-t-on jamais réellement l’Aïkido. On restera « empêtré » dans ikkyo, dans une forme de recherche technique…sans aborder le cheminement vers Aï-Ki. Je crois que c’est Maître Nakazono qui disait « l’Aïkido c’est la réponse juste à la situation ». C’est aussi ce que soulignait Maître Tamura en restant très exigeant sur la qualité de la technique : c'est le moyen d’apprendre, en en respectant toute la dimension : efficacité-simplicité-sincérité-sobriété, sans abimer ni déranger, pour s'ouvrir sur la compréhension de l'Aïkido et s'en approcher , pour être libre ...

Cette démarche est bien difficile car en même temps très abstraite, ça fait partie d'un choix que l'on fait au fond de soi-même, on part dans l'inconnu, dans la découverte, on se met en chemin, sur ce chemin que Senseï nous a balisé avec ces préparations, mais aussi avec d’autres éléments : le Dojo Shumeïkan tel qu'il l'avait conçu, la calligraphie de O Senseï qu'il plaçait chaque début d'année au Kamiza du Dojo. Sans ces éléments notre pratique de l’Aïkido risque de ne pas dépasser le stade où l'on utilise l’autre pour renforcer, satisfaire et nourrir notre ego (l'inutile), de la sorte on peut pratiquer vingt ans, trente ans ou quarante ans sans progresser vers l’Aïkido.

Et, dans ce cas, où on réduit uke à n'être qu'à notre service. Je pense qu’au contraire, l’Aïkido commence quand on est capable de prendre en compte l'autre : se mettre au service de uke. Tant que l’on considère uke à notre service, nous restons dans le développement de notre ego, et nous demeurons en dehors de l’Aïkido. L’Aïkido s’exprime lorsque nous commençons à prendre réellement en compte l’autre, à essayer de réellement construire avec l’autre. Quand ce pas est réalisé, que nous nous trouvions dans un rôle d’attaque ou de défense, nous pratiquons le même Aïkido !


Tu parles de « construire avec l’autre », d’un changement dans notre pratique. Sans doute aussi avec la nécessité d’un changement d’état d’esprit dans la relation aite/tori ?

Quel pas énorme doit être réalisé dans la tête, pour qu’au moment de l'attaque on reste dans l’état d’esprit d'être à son service ! L’Aïkido se pratique avec le corps, mais ce changement se passe dans notre tête. J’ai le sentiment que c’est seulement une fois que ce pas est réalisé que l’Aïkido commence. Sinon on renforce bien-sûr l’extérieur, mais je ne suis pas sûr qu’à l’intérieur il y ait quelque chose de différent. Les préparations nous aident dans cette orientation car elles ouvrent sur la pratique avec une autre approche que la seule réalisation technique immédiate. Elles contribuent à construire ce travail individuellement à l’intérieur et à l'extérieur pour le rendre plus abordable par la suite dans la mise en place avec uke ou tori. Toute cette démarche pourrai s’exprimer avec cette formule :

  • - tout le mental et le corps au service du centre (seika tandem )
  • - le centre au service du mouvement…
  • …en créant ouverture et déséquilibre dans l'intention d’action de l'autre.

Claude Pellerin, 7è DAN, CEN FFAB.
Interview Xavier Boucher.


-------- Deuxième partie -------


Cette relation à l’autre, que tu relies au sens de Aï-Ki, est un point de construction sur lequel tu insistes beaucoup actuellement dans l’enseignement technique…

La plupart du temps, en observant les pratiquants, j’ai l’impression que dans la très grande majorité des cas chacun fait son exercice seul en se servant de l’autre, très peu de pratiquants prennent en compte l’autre pour construire un mouvement par rapport à lui. Les pratiquants ont vraiment tendance à pratiquer seul, juste en utilisant l’autre pour la réussite de leur propre mouvement…qui reste réalisé seul. Dans l’Aïkido, l’enjeu est plutôt de réussir à faire des deux personnes, un seul mouvement .Avec Sensei on avait souvent l'impréssion que tout était fait avant de commencer ...

Est-ce notre manière d’utiliser le corps qui doit changer ?

Je crois que cela se passe surtout dans la tête. Qu’est-ce que je fais ici ? Ou plus précisément qu’est ce que je choisis de faire ici ? Peut-être que la majorité d’entre nous ne le sait pas précisément ? Peut-être n’avons-nous pas encore choisi ? Il est vrai qu’il existe beaucoup de motivations très distinctes sur le tatami : nous aimons aussi la pratique pour ce qu’elle apporte de physique, pour bouger, se dépenser, pour chuter et faire chuter...

C’est dans la tête, mais sans doute faut-il aussi que cela s’incarne physiquement ? La relation aïte-tori, la relation de centre à centre, l’union du mouvement sur un seul centre ne sont-elles pas aussi une relation et une perception physique ?

Oui bien sûr. Le travail corporel est indispensable, incontournable et continue ( n'oublions pas cette citation de Sensei:" même l'eau la plus pure peut pourrir au fond d'une mare") Simplement, il arrive un moment où il devient vraiment nécessaire de lâcher-prise aussi dans la tête : il faut que la tête choisisse de décider que l’autre existe bel et bien!

Et après ce lâcher-prise, il reste à développer tout cela : tout le travail corporel commence, pour vivre la prise en compte de l’autre dans chaque situation, notamment les situations techniques. Aïki arrive lorsque les deux mouvements de uke et tori, se transforment spontanément en un seul mouvement . Mais, avant de pouvoir réaliser cela, on doit avoir choisi clairement au fond de soi même , ce que l'on fait , ce que l'on veut ... Cela ne sous entend pas l'idée de complaisance dans l'attaque ou de chorégraphie , bien au contraire , le mouvement d'Aikido a besoin d'une attaque sincère et bien faite.

Le domaine du Budo nous convie à transposer cet exercice en dehors du tatami. . Dans l’exercice d’Aïkido, il y a cette démarche où des ‘deux’ on cherche à faire ‘un’, dans la pratique du tatami, cela se traduit dans ikkyo, nikkyo, shihonage, kokyunage, ou toute autre technique y compris avec le Jo ou le Bokken , réalisé avec plus ou moins de réussite , que l'on répète en essayant de ne pas faire la même chose à chaque fois... Mais au-delà du tatami, l’Aikido peut concerner toutes les situations de la vie quotidienne qui devient un nouveau terrain d'exercice ,Sensei disait :" si l'on est pas au moins capable de se contrôler soi même , on ne peut pas contrôler l' autre", bien sur ce ne sont pas ikkyo et nikyo que l'on transpose mais la démarche et la méthode développées dans la pratique , et cette étape ci s’avère bien plus difficile…en tout cas pour moi. Sans doute n’ai-je pas encore assez pratiqué , assez ouvert les yeux sur tout ce qu'apporte l'Aikido!

Oui c’est difficile. Souvent on s’aperçoit à posteriori que c’est grâce aux difficultés rencontrées que l’on fait des pas en avant, que l’on construit, que l’on apprend à se connaître et à aller au-delà de nos acquis. Mais, la plupart du temps, au moment où la difficulté se présente et où on la vit, à ce moment là on n’arrive pas à l’accepter…alors qu’il faudrait accepter?

Cela dépend des situations, ce n'est pas d'accepter ,c'est plutôt de regarder , prendre en compte , essayer de comprendre et s'en servir pour dépasser la difficulté. Il s’agit vraiment d’essayer d’ouvrir les yeux sur toutes les choses : celles qui sont importantes ou celles qui sont annexes. Et lorsque c’est important, chercher à ne pas l’enfouir. Dans la technique, physiquement, c’est plus matériel mais c’est similaire, et cela peut faire ressortir des points intéressants : quand l’autre nous saisit, on veut passer la technique à tout prix ….Mais il suffirait qu’on lâche prise sur cette attitude de vouloir passer à tout prix pour pouvoir trouver la réponse et c’est la réponse qui se fait d’elle-même.

Pour accéder à ce lâcher prise, ne considères tu pas qu’il y a tout un cheminement interne personnel nécessaire, un cheminement pour apprendre à se connaître, pour découvrir ce qui est au-delà de notre ego, ce qui est réellement essentiel à chacun ?

Oui. Apprendre à se connaître bien sur , sans complaisance se regarder et s'arranger, par exemple en transposant sur soi ce qu' il faudrait corriger de ce que l'on voit de la technique de l'autre ,tout en sachant que chacun évolue et change également. Cela signifie que cette connaissance de soi n’est jamais figée. Qu’est-on vraiment ? Que veut-on vraiment ? Dans quelle direction veut-on aller ? S’agit-il de répondre à ces questions par rapport à l’autre ? Ou bien s’agit-il de se situer réellement par rapport à ce qu’il y a au fond de nous : par exemple pour l'Aikido , chacun a ses propres raisons pour aimer cette discipline, chacun en sachant ce qu’il est, et où il se dirige...

C’est peut-être cela qui permet de construire la stabilité, le centre pour chacun. Quand, c’est encore la force de la volonté qui s’exprime, quand il s’agit de vouloir réussir ceci ou cela, par exemple sur le tatami, il ne s’agit pas encore de quelque-chose qui est vraiment installé au fond de soi même, en confiance. C’est la responsabilité de chacun de percevoir, individuellement, pour lui-même ce qu’il cherche à vivre, dans l’Aïkido entre autre ; bien sur, nous serons sans doute ‘bousculés’ à bien des occasions, mais ce qui est essentiel pour nous n’en sera pas affecté ;la pratique de l'Aikido nous apprend sans cesse à tomber et se relever, dans ce cas les difficultés de la vie ne sont que des exercices pour continuer , ce ‘centre’ dont on parle ne doit pas être affecté ; il n' est jamais figé.il est nécessairement mobile en permanence pour pouvoir s'adapter aux situations , sans se perdre ,c'est pour cela qu'il peut rester centre.

Durant le stage où tu as insisté particulièrement sur les exercices de préparations, peux tu expliquer un peu ce qui guide ton travail corporel et mental durant ces exercices, ce que tu recherches au moment où tu les pratiques ?

Pour moi, il ne s’agit pas vraiment de rechercher quelque chose de particulier. C’est directement l’exercice qui m’apporte. Il y a des choses qui se passent dans l’exercice, et c’est cela qui m’enrichit. J’ai toujours pratiqué ces types d’exercices, mais plutôt dans l’attente de ce que l’exercice lui-même va me dire.

Il y a des sensations qui se développent d’elles-mêmes. Le cerveau arrive ensuite à formuler ces sensations qui se sont manifestées. Et cela peut concerner l’exercice qui se passe en moi, où bien également l’exercice que je vois chez les autres. Je pratique à différents moments, seul chez moi, au dojo, ou bien en stage. Si je suis entrain d’enseigner et que des mots viennent que je communique aux pratiquants, c’est la sensation qui se développe d’abord et les mots arrivent dans un second temps pour formuler cela.

Je pense que cette forme d’enseignement est aussi le cadeau de Senseï : rester en permanence dans la pratique, réaliser les exercices au mieux pour soi-même, les réaliser au mieux pour les autres et laisser la grande liberté à chacun de trouver par lui-même ou bien de voir les choses se révéler par elles mêmes


-------- Troisième partie -------


Mais pour que les choses se révèlent, ne penses tu pas que la culture dans laquelle nous sommes éduqués impacte beaucoup. Les japonais sont baignés d’une culture complètement différente. N’a-t-on pas besoin en Europe d’éclairer un peu cette recherche par des mots de temps à autre, qui permettent de partager, d’ouvrir la conscience ?

A titre personnel, malgré ce que m’a dit plusieurs fois Senseï « Tu expliques trop,… », je pense que tu as raison .En ce qui me concerne d'une part ce sont les échanges avec les amis et les pratiquants qui ont contribué à faire évoluer et éclairer ma pratique et d'autre part bien sur cette chance que j'ai eu de pouvoir parler très librement et écouter Senseï dans toutes ces occasions : dans la voiture lorsque nous allions au cour ou en stage, pour les courriers, pour la fédé avec la préparation des stages , les comptes rendus et les rapports. Quelques autres personnes ont aussi éclairé ma pratique. Quelques mots parfois suffisent à ouvrir l’esprit, et cela peut changer du tout au tout la pratique. C’est pour cela que je conserve encore cette démarche qui explicite un peu, liée étroitement à ma recherche personnelle. Cette démarche cherche par différents moyens à ouvrir les yeux autant aux pratiquants qu' à moi même .

Il s’agit aussi pour moi de contribuer à ce que l’on avance tous ensemble. Il ne s’agit pas que chacun avance individuellement, au contraire il faut que les différentes générations de pratiquants avancent ensemble, que chacun puisse recevoir et donner au mieux de ce qu'il peut apporter. Ainsi, chacun a à sa disposition le maximum de repères qui le guident pour se remettre en question et continuer à avancer.

Quand vous avez démarré, il y avait aussi ces grands moments comme les stages d’Annecy. Vous y pratiquiez l’Aïkido, mais aussi d’autres arts comme la calligraphie, le iaïdo. Sans doute cela donnait une autre ouverture sur la pratique ?

Oui bien sûr. Le Iaïdo surtout m’a marqué. Maître Tamura nous l'a fait pratiquer régulièrement. Pendant de nombreuses années, on pratiquait au moins 20 minutes de Iaïdo à la fin des cours d’Aïkido. Aujourd’hui on pratique plutôt le Iaïdo avant les cours d’Aïkido, plutôt comme une préparation pour l’Aïkido. Et c’est très intéressant de cette manière également. En même temps, cela n’enlève rien aux autres préparations dont nous parlions auparavant, les préparations liées au Qi Gong ,au DO IN, Ces préparations sont encore bien plus subtiles ; elles recèlent vraiment beaucoup de richesses.

On peut aller plus loin, beaucoup plus loin que tout ce que l’on a évoqué si on prend comme cible Aï – Ki – Do. Par contre si on prend comme cible, même inconsciemment, la seule volonté de développer sa force, sa domination ,on ne va nulle part.

Chaque année Senseï mettait une calligraphie de O Sensei au Kamiza. On n’a pas assez compris et approfondi cet aspect de sa pratique. Je pense que, pour lui, ces calligraphies exprimaient ce qui portait sa pratique pendant toute une année. Il proposait ainsi au regard de tous l’orientation de sa propre recherche. Une recherche entièrement engagée sur l'Aikido de O Sensei : ce n’était pas ikkyo, shihonage, ou telle ou telle technique….

Tu abordes là une dimension très intérieure du travail de l’Aïkido. Quand on ouvre des ouvrages de Morihei Ueshiba, chacun peut remarquer combien il y avait en permanence pour lui un travail corps et esprit. Pour continuer le chemin, ne doit-on pas mettre en évidence ces dimensions ?

Sensei nous a conduit aux portes du monde Aikido , au delà de la technique , c'est à nous de continuer sur ce chemin sans nous égarer . Dans la pratique, on peut prendre l’exemple du moment clé de l’attaque : dans quelle attitude, dans quel état d’esprit se trouve-t-on au moment de l’attaque ? Pratique-t-on l’Aïkido à ce moment ? Notre état d’esprit dans cet instant va déterminer le comportement du corps. Mais dans la pratique en est-t-on conscient ? Cet instant de l’attaque est important dans notre pratique. Dans un premier temps, il y a cette nécessité d'avoir pris conscience, au moment même de l’attaque, de ce que l’on est entrain de faire. A-t-on pleinement conscience que l’on ne peut réduire ce travail uniquement à une question technique?

Il ne faut pas être excessif non plus. Peut-être que certains d’entre nous, avec une recherche plus avancée grâce aux années d’approfondissement, peuvent porter leur attention à titre personnel sur ces dimensions de la pratique. Mais je pense qu’il ne faut pas trop charger les élèves. Par la suite, certains des élèves viendront à cela s’ils le perçoivent chez nous. Le premier pas est à réaliser par les enseignants : être pleinement conscient de ce que l’on pratique, pourquoi on pratique, avec quel sens on pratique ; être conscient de l’Aïkido que nous avons choisi... En même temps cette démarche doit se retrouver et s'exprimer dans la pratique : l’attaque arrive, suis-je capable de la regarder, de la prendre en compte, de faire quelque chose avec ? Dans l’attaque, il y a l’autre, aïte, avec sa façon d’attaquer, sa façon d’être, son caractère, sa nature : tout ceci n’est pas neutre. Ce n’est pas juste un geste vide, il se passe réellement quelque chose entre aïte et tori. Donc c’est dans cet instant, qu’il importe d'avoir construit et de garder cette conscience de ce que l’on a choisi et de la manière de réagir dans l’instant même. Par la suite, d’autres choses vont automatiquement se développer.

Mais si on ne réalise pas cette prise de conscience, on peut continuer des années durant les exercices, un peu comme l’autruche avec la tête dans le sable. Il faut réussir à mettre beaucoup de présence, beaucoup de conscience dans la pratique, sans développer l’ego (l'inutile) . Prendre conscience également que l’autre est en face, que l’autre existe : que fait-on avec l’autre ?

Mais en même temps est-ce que cette prise de conscience ne constitue pas un travail particulièrement subtil, délicat, difficile à aborder et à développer pour les pratiquants. En quelque sorte, comment et par quelle méthode avancer dans cette prise de conscience ?

Tout participe à cette démarche, cette attitude, cette ouverture ,tous les sens en éveil ! Cela me rappelle aussi une phrase qu’avait prononcée Jacques Bardet, il y a quelques années: « comme on est…on crée l’autre ». C'est-à-dire par notre propre façon d’être, on créé l’attitude et le comportement de l’autre, dans l’action aussi.

Il me semble que nos choix profonds déterminent notre comportement, consciemment et même inconsciemment. Souvent, j’ai cru percevoir que les gens ont une attitude et un comportement qui se construit par rapport à ce qu’on leur a dit, ce qu’ils ont entendu et notamment par rapport aux premiers moments de pratique qui exercent une grande influence. Ensuite, durant leur vie de pratiquant, ils véhiculent tout cela, souvent inconsciemment. Si on n’en prend pas suffisamment conscience, c’est difficile de faire évoluer ces premières conceptions. C’est entre autre à ces changements intérieur que nous convie l’Aïkido.

Peu avant de nous quitter Senseï disait "pour moi l'Aikido c'est shiseïi et kokyu". Encore faut-il trouver le sens porté par ces mots, ce que Senseï voulait exprimer, avec son expérience et sa pratique. Ou encore quand il disait " je viens au Dojo pour me nettoyer et me purifier ".

Claude Pellerin, 7è DAN, CEN FFAB.


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